French POETRY

Le Corbeau et Le Renard de Jean De La Fontaine

Maître Corbeau, sur un arbre perché,

Tenait en son bec un fromage.

Maître Renard, par l’odeur alléché,

Lui tint à peu près ce langage :

«Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.

Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.»

A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;

Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

Le Renard s’en saisit, et dit : «Mon bon Monsieur,

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l’écoute :

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.»

Le Corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

Liberté de Paul Eluard

Liberté


Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom


Sur toutes les pages lues

Sur toutes les pages blanches

Pierre sang papier ou cendre

J’écris ton nom


Sur les images dorées

Sur les armes des guerriers

Sur la couronne des rois

J’écris ton nom


Sur la jungle et le désert

Sur les nids sur les genêts

Sur l’écho de mon enfance

J’écris ton nom


Sur les merveilles des nuits

Sur le pain blanc des journées

Sur les saisons fiancées

J’écris ton nom


Sur tous mes chiffons d’azur

Sur l’étang soleil moisi

Sur le lac lune vivante

J’écris ton nom


Sur les champs sur l’horizon

Sur les ailes des oiseaux

Et sur le moulin des ombres

J’écris ton nom


Sur chaque bouffée d’aurore

Sur la mer sur les bateaux

Sur la montagne démente

J’écris ton nom


Sur la mousse des nuages

Sur les sueurs de l’orage

Sur la pluie épaisse et fade

J’écris ton nom


Sur les formes scintillantes

Sur les cloches des couleurs

Sur la vérité physique

J’écris ton nom


Sur les sentiers éveillés

Sur les routes déployées

Sur les places qui débordent

J’écris ton nom


Sur la lampe qui s’allume

Sur la lampe qui s’éteint

Sur mes maisons réunies

J’écris ton nom


Sur le fruit coupé en deux

Du miroir et de ma chambre

Sur mon lit coquille vide

J’écris ton nom


Sur mon chien gourmand et tendre

Sur ses oreilles dressées

Sur sa patte maladroite

J’écris ton nom


Sur le tremplin de ma porte

Sur les objets familiers

Sur le flot du feu béni

J’écris ton nom


Sur toute chair accordée

Sur le front de mes amis

Sur chaque main qui se tend

J’écris ton nom


Sur la vitre des surprises

Sur les lèvres attentives

Bien au-dessus du silence

J’écris ton nom


Sur mes refuges détruits

Sur mes phares écroulés

Sur les murs de mon ennui

J’écris ton nom


Sur l’absence sans désir

Sur la solitude nue

Sur les marches de la mort

J’écris ton nom


Sur la santé revenue

Sur le risque disparu

Sur l’espoir sans souvenir

J’écris ton nom


Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer


Liberté.

La Cigale et La Fourmi de Jean De La Fontaine

La cigale ayant chanté

Tout l’été,

Se trouva fort dépourvue

Quand la bise fut venue :

Pas un seul petit morceau

De mouche ou de vermisseau.

Elle alla crier famine

Chez la fourmi sa voisine,

La priant de lui prêter

Quelque grain pour subsister

Jusqu’à la saison nouvelle.

« Je vous paierai, lui dit-elle,

Avant l’août, foi d’animal,

Intérêt et principal. »

La fourmi n’est pas prêteuse :

C’est là son moindre défaut.

« Que faisiez-vous au temps chaud ?

Dit-elle à cette emprunteuse.

— Nuit et jour à tout venant

Je chantais, ne vous déplaise.

— Vous chantiez ? J’en suis fort aise :

Eh bien ! Dansez maintenant. »

La Chevelure de Charles Baudelaire

La Chevelure


Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure!

Ô boucles! Ô parfum chargé de nonchaloir!

Extase! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure

Des souvenirs dormant dans cette chevelure,

Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir!


La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,

Tout un monde lointain, absent, presque défunt,

Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique!

Comme d’autres esprits voguent sur la musique,

Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum.


J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,

Se pâment longuement sous l’ardeur des climats;

Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève!

Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve

De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts:


Un port retentissant où mon âme peut boire

À grands flots le parfum, le son et la couleur

Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire

Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire

D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.


Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse

Dans ce noir océan où l’autre est enfermé;

Et mon esprit subtil que le roulis caresse

Saura vous retrouver, ô féconde paresse,

Infinis bercements du loisir embaumé!


Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues

Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond;

Sur les bords duvetés de vos mèches tordues

Je m’enivre ardemment des senteurs confondues

De l’huile de coco, du musc et du goudron.


Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde

Sèmera le rubis, la perle et le saphir,

Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde!

N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde

Où je hume à longs traits le vin du souvenir?

Je Vis, Je Meurs de Louise Labé

Je vis, je meurs: je me brûle et me noie,

J’ai chaud extrême en endurant froidure;

La vie m’est et trop molle et trop dure,

J’ai grands ennuis entremélés de joie.


Tout en un coup je ris et je larmoie,

Et en plaisir maint grief tourment j’endure,

Mon bien s’en va, et à jamais il dure,

Tout en un coup je sèche et je verdoie.


Ainsi Amour inconstamment me mène

Et, quand je pense avoir plus de douleur,

Sans y penser je me trouve hors de peine.


Puis, quand je crois ma joie être certaine,

Et être en haut de mon désiré heur,

Il me remet en mon premier malheur.

Le Niagara de Louis Fréchette

L’ONDE majestueuse avec lenteur s’écoule ;

Puis, sortant tout à coup de ce calme trompeur,

Furieux, et frappant les échos de stupeur,

Dans l’abîme sans fond le fleuve immense croule.


C’est la chute ! son bruit de tonnerre fait peur

Même aux oiseaux errants, qui s’éloignent en foule

Du gouffre formidable où l’arc-en-ciel déroule

Son écharpe de feu sur un lit de vapeur.


Tout tremble ; en un instant cette énorme avalanche

D’eau verte se transforme en monts d’écume blanche,

Farouches, éperdus, bondissant, mugissant…


Et pourtant, ô mon Dieu, ce flot que tu déchaînes,

Qui brise les rochers, pulvérise les chênes,

Respecte le fétu qu’il emporte en passant !

La Feuille Blanche de Paul Valéry

En vérité, une feuille blanche

Nous déclare par le vide

Qu’il n’est rien de si beau

Que ce qui n’existe pas.


Sur le miroir magique de sa blanche étendue,

L’âme voit devant elle le lieu des miracles

Que l’on ferait naître avec des signes et des lignes.

Cette présence d’absence surexcite

Et paralyse à la fois l’acte sans retour de la plume.

Il y a dans toute beauté une interdiction de toucher,

Il en émane je ne sais quoi de sacré

Qui suspend le geste, et fait l’homme

Sur le point d’agir se craindre soi-même.

Elle Était Déchaussée, Elle Était Décoiffée de Victor HUGO

Elle était déchaussée, elle était décoiffée,

Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;

Moi qui passais par là, je crus voir une fée,

Et je lui dis : Veux-tu t’en venir dans les champs ?


Elle me regarda de ce regard suprême

Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,

Et je lui dis : Veux-tu, c’est le mois où l’on aime,

Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?


Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive ;

Elle me regarda pour la seconde fois,

Et la belle folâtre alors devint pensive.

Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !


Comme l’eau caressait doucement le rivage !

Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,

La belle fille heureuse, effarée et sauvage,

Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.

Share by: